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Cette section traite de la genèse de la systémique, avant de définir le système et ses typologies pour finir avec la modélisation systémique ou systémographie.

La genèse

Lorsque (Jaafari 2003) soutient un changement de paradigme en gestion de projet et propose un modèle créatif-apprenant, il sous entend un changement de méthode. Plus concrètement, cela revient à passer d'un modèle positiviste, cartésien souligné par Cooke-Davis comme étant le paradigme duquel a émergé la gestion de projet (Cooke-Davis et al 2007), à un nouveau modèle capable de répondre au défi de la complexité.

Pour mieux comprendre ce changement de paradigme, il nous faut remonter au XVIIe siècle où la science moderne prend ses racines dans la pensée de René Descartes et de son "discours de la méthode", à l'origine de l'approche analytique. Dans ce discours on trouve quatre préceptes qui ont façonné le paradigme positiviste.

  • "Le premier était de ne recevoir jamais aucune chose pour vraie que je ne la connusse évidemment être telle, c'est à dire d'éviter soigneusement la précipitation et la prévention, et de ne comprendre rien de plus en mes jugements que ce qui se présenterait si clairement et si distinctement à mon esprit que je n'eusse aucune occasion de la mettre en doute"

Comment un modélisateur c'est à dire un observateur souhaitant nous aider à comprendre la réalité à travers un modèle, peut-il affirmer qu'une chose est vraie? C'est subjectif et comme le dit Le Moigne, relève d'une absence de rigueur intellectuelle. (Le Moigne 1994-2006 p.33)

  • "Le second, de diviser chacune des difficultés que j'examinerais en autant de parcelles qu'il se pourrait et qu'il serait requis pour les mieux résoudre."

Il s'agit ici d'une décomposition de l'objet étudié en autant de parties, ou de "parcelles", nécessaires à comprendre son fonctionnement. Concrètement, cela revient à dire qu'en connaissant les parties, on connaitrait le tout. Ce précepte est remis fortement en question notamment par la pensée complexe d'Edgar Morin. R.L. Ackoff, disait "Aujourd'hui... les objets à expliquer sont considérés comme les parties de plus grands touts, plutôt que comme des touts qu'il faut décomposer en parties." (Ackoff 1972 p.40). Lorsque l'on décompose le tout "projet" dans une structure de fractionnement des travaux, on réduit le tout à des parties, les "tâches" avec le risque de négliger certaines interdépendances entre les parties prenantes ou l'environnement.

  • "Le troisième, de conduire par ordre mes pensées en commençant par les objets les plus simples et les plus aisés à connaître, pour monter peu à peu comme par degrés jusqu'à la connaissance des plus composés, et supposant même de l'ordre entre ceux qui ne se précèdent point naturellement les uns les autres."

De ce précepte déterministe, causaliste, nous allons sans doute souffrir longtemps selon Le Moigne (Le Moigne 1994-2006 p.36) car il est ancré dans les mentalités occidentales. Il ajoute que "les mêmes causes n'entraînent pas toujours les mêmes effets" et que "Nous pourrons montrer l'illusion de ces décisions prises, en toute connaissance des causes, alors que nous les espérions en toute connaissance des conséquences"(Le Moigne 1994-2006 p.37)

  • "Et le dernier, de faire partout des dénombrements si entiers et des revues si générales que je fusse assuré de ne rien omettre."

Ce dernier précepte est difficile à justifier dans un système complexe. Qui peut en effet prétendre dans la modélisation d'un objet ne rien avoir omis? Qui peut prétendre planifier un projet et ne rien avoir omis? Les cartésiens ont passé outre cette difficulté en substituant "à la connaissance de l'objet, en tant que tel, celle des parties dénombrées de cet objet."(Le Moigne 1994-2006 p.40)

On retrouve ces préceptes cartésiens dans l'approche taylorienne du travail dont Morgan nous rappelle les principaux fondements (Morgan 2006, p.25):

  • "Définir des buts et objectifs et se mettre à leur poursuite"
  • "Organiser rationnellement, efficacement et clairement."
  • "Préciser tous les détails pour que chacun sache bien ce qu'il doit faire."
  • "Planifier, organiser, commander, discipliner et vérifier."

Morgan utilise pour représenter l'approche tayloriste, la métaphore de l'organisation vue comme une machine. On voit aujourd'hui les limites de ce modèle, qui n'est plus performant dans un environnement incertain, en plus de poser de nombreux problèmes sociaux avec des travailleurs privés de toute dimension intellectuelle du travail. C'est bien là ce dont parlait Jafaari en disant qu'il faut remettre en question l'approche traditionnelle basée sur un monde ordonné et prévisible (Jaafari 2003). La gestion de projet est dominé par ce paradigme déterministe avec des techniques comme la structure de fractionnement des travaux ou encore l'analyse du chemin critique (Aritua et al 2008).

On ne peut cependant nier que le principe de réduction a beaucoup servi la science et se trouve à l'origine de nombreuses découvertes telles que l'atome, l'ADN, le gène. Cette méthode aussi fructueuse fusse t-elle est réductionniste dans le sens où elle ne se concentre que sur une partie de la réalité en faisant abstraction du reste. "L'approche réductionniste à elle seule est insuffisante, pauvre, mutilante. Elle n'éclaire qu'une partie de la réalité et occulte d'autres dimensions" (Fortin 2005 p.25)

Pour continuer à comprendre le réel nous avons alors besoin d'une nouvelle méthode. Méthode, dont nous retenons ici la définition suivante:

"Une méthode est une manière de voir et de concevoir la connaissance, laquelle est une manière de voir et de concevoir le réel." (Fortin, 2005 p.46)
.

C'est au vingtième siècle que la systémique se dresse contre le réductionnisme cartésien et introduit la notion de système, en prônant une nouvelle méthodologie, soit l'utilisation d'une nouvelle méthode ayant comme objectif de palier les carences de l'approche analytique, causale.

À l'origine de la systémique on retrouve Ludwig Von Bertalanffy, fondateur de la "théorie générale des systèmes" (Bertalanffy, 1969), qui a contribué à l'émergence d'une vision holiste de la vie et de la nature. Il a mis en évidence dans sa théorie, les points communs et les isomorphismes des systèmes en général, avec pour objectif de formuler des principes valables pour tout système. Bertalanffy définit un système comme:

"Un ensemble d'unités en interrelations mutuelles (A system is a set of unities with relationship among them)" (Morin, Méthode 1, p.101)

Il s'oppose ici à Descartes en mettant en évidence les qualités émergentes issues des interrelations mutuelles entre unités. L'approche cartésienne, ne tenant pas compte de ces interrelations en réduisant le système à des unités élémentaires. Il utilise toutefois le mot "ensemble" utilisé par les mathématiciens.

Dans la foulée de Bertalanffy, la systémique s'est nourri des travaux de Norbert Wiener sur la cybernétique, avec la parution en 1948 de l'ouvrage Cybernétique "Communication et commande chez l'animal et dans la machine".

"La cybernétique est la science générale de la régulation et des communications dans les systèmes naturels et artificiels." (Wiener, 1968)

Les théories de la cybernétique, science interdisciplinaire se consacrant à l'étude de l'information, de la communication et du commandement, fait ressortir quatre principes fondamentaux que reprend Morgan (Morgan 2006 p.80) :

  • les systèmes doivent être capables de sentir, de suivre et d'explorer les aspects importants du milieu environnant
  • ils doivent pouvoir rattacher l'information obtenue aux normes de fonctionnement qui guident leur comportement
  • ils doivent pouvoir détecter les déviations significatives à ces normes
  • ils doivent amorcer les mesures correctives nécessaires quand il se produit des écarts


Certaines organisations tiennent compte de ces principes qui se traduisent entre autres en gestion de projet par le suivi des normes définies par les BOK (Body Of Knowledge) ou encore par l'utilisation d'outils de gestion des ressources, des coûts qui permettent de rectifier les déviations. Or, nous dit Morgan, les capacités d'apprentissage d'un tel système sont limitées car conditionnées par les normes de fonctionnement du système lui-même (Morgan 2006 p.81). Si des changements surviennent auxquels les normes du système sont incapables de répondre, ce dernier tombe en panne.

Une autre contribution majeur à la pensée systémique est celle du cybernéticien R. W. Ashby par la loi dite de la variété requise (Ashby,1956).

Pour qu'un système de (pilotage) S1 puisse coordonner complètement un autre système S2, il faut que sa variété V1 soit supérieure à celle du système S2 (la condition n'est évidemment pas suffisante) (Le Moigne p.247)
La variété étant le nombre de configurations ou d'états que le système peut prendre.


À partir des travaux de grands chercheurs dont ceux cités précédemment, Le Moigne dans la théorie du système général, jette les fondements du paradigme systémique en proposant comme l'avait fait en son temps Descartes quatre nouveaux préceptes (Le Moigne TDSG p.43) . Ces préceptes se sont nourris de trois siècles d'expérience pour proposer à notre société en mutation une nouvelle méthode de référence qui nous aidera à passer de la complication à la complexité notions sur lesquelles nous reviendrons.

  • Le précepte de pertinence: Convenir que tout objet que nous considérons se définit par rapport aux intentions implicites ou explicites du modélisateur. Ne jamais s'interdire de mettre en doute cette définition si, nos intentions se modifiant, la perception que nous avions de cet objet se modifie.

On comprend dans ce premier précepte que la culture, le cadre mental du modélisateur se reflètent directement dans son modèle, modèle qu'il ne devra pas hésiter à remettre en cause si sa perception évolue dans le temps.

  • Le précepte du globalisme: Considérer toujours l'objet à connaître par notre intelligence comme une partie immergée et active au sein d'un plus grand tout. Le percevoir d'abord globalement, dans sa relation fonctionnelle avec son environnement sans se soucier outre mesure d'établir une image fidèle de sa structure interne, dont l'existence et l'unicité ne seront jamais tenues pour acquises.

On voit ici clairement la nécessité de conserver les liens entre l'objet étudié et son environnement, la nécessité d'avoir une vision holiste non-mutilante.

  • Le précepte téléologique: Interpréter l'objet non pas en lui-même, mais par son comportement, sans chercher à expliquer à priori ce comportement par quelque loi impliquée dans une éventuelle structure. Comprendre en revanche ce comportement et les ressources qu'il mobilise par rapport aux projets que, librement le modélisateur attribue à l'objet. Tenir l'identification de ces hypothétiques projets pour un acte rationnel de l'intelligence et convenir que leur démonstration sera bien rarement possible.

Ce troisième précepte nous invite à ne pas décomposer l'objet pour tenter de comprendre absolument de quoi il est fait, mais plutôt d'en étudier son comportement c'est à dire ce que cet objet fait. Le changement de finalité de la connaissance est résumé ainsi par Le Moigne "là où il fallait hier expliquer l'objet pour le connaître, il faut aujourd'hui le connaître assez, l'interpréter donc, pour anticiper son comportement" (Le Moigne TDSG p.73)

  • Le précepte de l'agrégativité: Convenir que toute représentation est partisane, non pas par oubli du modélisateur, mais délibérément. Chercher en conséquence quelques recettes susceptibles de guider la sélection d'agrégats tenus pour pertinents et exclure l'illusoire objectivité d'une recensement exhaustif des éléments à considérer.

Enfin le dernier précepte, avance clairement qu'il est impossible de chercher à représenter l'objet comme une copie exacte du réel, mais qu'il faut s'aider de recettes pour nous guider. Le Moigne reconnaît un nouveau paradigme appelé paradigme systémique, sur lequel il déploie une théorie de la modélisation appelé Théorie du Système Général (Le Moigne TDSG p.42), avec pour mission de nous donner ces recettes.

Après avoir jeté un regard global sur l'approche systémique, nous allons scruter la notion de système.

Le système

Définitions

Étymologiquement, système provient du grec sustêma qui signifie "assemblage, composition"(Petit Robert). Morin parlera de "complexion", soit un ensemble de parties diverses interrelationnées. (Morin Méthode I p.145)
Nous retenons comme définition d'un système:

une unité globale organisée d'interrelations entre éléments, actions ou individus. (Morin Méthode I p.102)


Nous complétons cette définition par une description du "Système Général" (Le Moigne TSG p.61-62) pour nous aider à reconnaître cet objet artificiel qu'est un système:

  • quelque chose (n'importe quoi, présumé identifiable)
  • qui dans quelque chose (environnement)
  • pour dans quelque chose (finalité ou projet)
  • fait quelque chose (activité=fonctionnement)
  • par quelque chose (structure=forme stable)
  • qui se transforme dans le temps (évolution)

Typologies des systèmes

"La typologie, c'est la science de l'élaboration des types, facilitant l'analyse d'une réalité complexe et la classification"(Petit Robert). Plusieurs typologies de systèmes ont été proposées par les chercheurs, parfois arbitraires et dé-généralisantes (Le Moigne TSG p.257). Nous en aborderons ici que les plus pertinentes pour notre recherche.

Les systèmes ouverts ou fermés

C'est L. von Bertalanffy qui introduit en 1930 une théorie du système ouvert, qu'il déploiera en 1940 en une Théorie du Système Générale (Le Moigne 1977-2006, p.225) et qui est reprise par Jaafari lorsqu'il parle de réseaux de systèmes ouverts (Jaafari 2006). Un système ouvert étant un système qui échange avec son environnement, tantôt il donne, tantôt il reçoit. Un système fermé n'échange pas avec son environnement et est appelé à disparaitre selon le principe d'entropie. Morin poursuit la même idée qu'un système totalement fermé n'existe pas. "Un système absolument clos, c'est-à-dire sans aucune interaction avec l'extérieur, serait par là même un système sur lequel il serait impossible d'obtenir la moindre information." (Morin, Méthode 1 p.199). La fermeture "partielle" du système est même nécessaire à la survie de ce dernier pour éviter l'hémorragie du système dans l'environnement. (Morin, Méthode 1 p.134). De même que l'ouverture "partielle" est nécessaire pour éviter l'entropie, la mort du système.

Les systèmes ouverts sont ceux qui nécessitent des échanges de matière et d'énergie avec leur environnement; les systèmes fermés, ceux qui n'entretiennent aucun échange avec l'extérieur. (Fortin, 2005 p.42)

Les systèmes à couplage lâche

À partir de 1976, Weick ira plus loin dans la réflexion sur l'ouverture et la fermeture des systèmes en introduisant la notion de "système à couplage lâche", en anglais "Loosely coupled systems".

Un système à couplage lâche est un système qui est simultanément ouvert et fermé, indéterminé et rationnel, spontané et délibéré (Orton et Weick 1990 p.204-205)

Le système comme une boîte noire

Melèse parle de boîte noire pour décrire les systèmes dont les processus internes nous seraient invisibles. On a connaissance des entrants et des extrants, mais on ne sait pas exactement ce qui se passe au milieu, au sein du système.

"Le système se présente comme une boîte noire (black-box), c'est à dire une boîte munie d'entrées et de sorties, mais dont on ne sait pas prédire les valeurs des sorties à partir de la valeur des entrées" (J. Melèse, 1972 p.55)

Lorsque l'on veut observer un système, on peut le décrire comme une boîte noire ou une boîte blanche et occulter volontairement certaines parties. Quand on s'intéresse uniquement à l'aspect externe du système en considérant ses intrants et ses extrants, la constitution du système lui même étant occulté, c'est la boite noire. La boite blanche à l'opposé se concentre sur l'aspect interne du système, sa constitution en étudiant les interactions mutuelles entre ses parties.

Les systèmes chauds ou froids

C'est A. Wilden qui pour la première fois fait la distinction entre un "système froid - compliqué" et un système chaud - complexe" (Wilden, 1972).

Un Système Général est compliqué (ou froid), lorsqu'une grande diversité des processeurs qui interviennent, n'implique pas une diversité corrélative des fonctions qu'il exerce: même fortement différencié, son réseau est peu intégré et se présente pour l'essentiel sous forme arborescente.(Le Moigne TSG p.257)

Dans ce type de système le dénombrement et la classification des parties sous forme d'arbre hiérarchique est possible.

Un Système Général est complexe (ou chaud), lorsque la diversité de ses activités fonctionnelles n'implique pas nécessairement une diversité corrélative des processeurs qui le constituent: s'il compte moins de processeurs différents que de fonctions, c'est que le réseau connectant ces processeurs est fortement intégré et présente de nombreuses boucles de rétromettances.(ibid)

Ici nous comprenons, que chaque partie, processeur, joue plusieurs rôles et que les produits des uns sont nécessaires et constituants des autres.

Si en catégorisant les systèmes, on améliore partiellement leur compréhension, pour en transmettre la connaissance, il nous faut représenter les systèmes, nous n'avons alors pas d'autre choix que de les modéliser.

La modélisation systémique ou systémographie

Au lieu d'appeler le mode d'emploi de la théorie l'analyse de système pour ne pas utiliser le mot analyse propre à l'approche cartésienne, le terme systémographie a été retenu suite à une référendum de praticiens expérimentés (Le Moigne TDSG p.69). Plutôt que d'analyser, on conçoit, on modélise, on représente. (Le Moigne TDSG p.73)
La modélisation systémique ou systémographie est un point de vue pris sur le réel (Le Moigne 2007 Cerisy p.22), elle consiste à concevoir, puis dessiner une image à la ressemblance de l'objet (Le Moigne TSG p.75). Appliquer la modélisation au système revient à en donner une représentation, dont Morin souligne la difficulté:"Personne n'a jamais vu un système: c'est un concept fantôme" (Morin, IC p.?).

Pour comprendre la modélisation, nous reprenons les réponses de Le Moigne aux trois questions suivantes:

  • Pourquoi modéliser?

"Modéliser c'est à la fois identifier et formuler quelques problèmes en construisant des énoncés, et chercher à résoudre ces problèmes en raisonnant par des simulations."(Le Moigne MDSC, 1999 p.15). Par la modélisation on parvient à clarifier, à révéler comment les problèmes se forment et éventuellement à les résoudre en simulant la réalité. Quand on modélise on représente et on représente pour comprendre.
"la modélisation est le principal outil dont nous disposons pour étudier le comportement des grands systèmes complexes" (Simon, 1989).

  • Qu'est ce que modéliser?

"Modéliser, c'est instrumenter."(Le Moigne 1977-2006 p.22)
Pour modéliser, il nous faut des instruments de modélisation.

  • Comment modéliser?

"En précisant, autant que faire se peut, les pourquoi de ces comment." (Le Moigne 1977-2006 p.23)

Nous nous arrêtons ici sur les propos de Claude Bernard qui très justement disait "Les systèmes pourtant ne sont pas dans la nature, mais seulement dans l'esprit des hommes (Bernard 1865, p.297). En effet, lorsque l'on modélise, on tente de représenter de la façon la plus précise possible la réalité, "que l'on construit dans sa tête ... et que l'on "dessine" sur quelque support physique"'' (Le Moigne MDSC, 1999 p.15) tout en sachant qu'une fidélité absolue au réel est impossible.
"La modélisation se construit comme un point de vue pris sur le réel, à partir duquel un travail de mise en ordre, partiel et continuellement remaniable, peut être mis en oeuvre."(Le Moigne 2007 p.22)
On comprend ici que la mise en ordre est le travail "en-cours" du modélisateur, qu'il pourra continuellement améliorer, corriger pour coller d'avantage au réel. Ceci n'empêchant nullement chacune des représentations dans le temps de nous aider à comprendre, à représenter les objets plutôt qu'à les expliquer.

Pour Morin, la modélisation systémique est un art aléatoire et incertain, riche et complexe dont l'idéal est de concevoir les interactions, interférences et enchevêtrements polysystémiques. (Morin, Méthode 1 p.141). Le modélisateur devra définir le système dans son contexte polysystémique, c'est à dire au milieu de tous les autres systèmes, l'art consistant à le décrire sans le mutiler en faisant fi de son contexte. La modélisation lie le réel et l'idéal né dans la tête de l'observateur/concepteur (terme employé par Morin), en intégrant subjectivité, culture, anthropologie et société.
C'est pourquoi Le Moigne nous explique qu'il n'existe pas un modèle unique pour représenter un système, mais on pourrait dire: autant de modèles qu'il y aurait d'observateurs/concepteurs. S'ajoute à cela la diversité des méthodes de modélisation disponibles.

"la modélisation postule à priori non seulement la pluralité des modèles concevables d’un même phénomène, mais surtout la pluralité des méthodes de modélisation." (Le Moigne 1977-2006 p.14)

Parmi les méthodes de modélisation, on compte notamment l'analogie "Rapport, similitude entre plusieurs choses différentes"(Littré en ligne consulté le 08.05.08 http://francois.gannaz.free.fr/Littre)
On distingue 3 niveaux d'analogies :

  • "L'homomorphisme vient du grec homos qui signifie semblable et morphê'' qui signifie forme. Lorsque l'on modélise on reproduira ainsi certains traits du "système réel" au travers du "système modèle".
  • "L'isomorphisme vient du grec isos qui signifie égal'' c'est la seule analogie acceptable dans l'approche analytique cartésienne puisque le dernier précepte demande à ce que l'on s'assure de n'avoir rien omis.

L'isomorphisme s'il est concevable pour des systèmes compliqués est impossible pour les systèmes complexes, nous obligeant à accepter l'imperfection du modèle homomorphe.

  • La métaphore "figure par laquelle la signification naturelle d'un mot est changée en une autre; comparaison abrégée."(Littré en ligne consulté le 08.05.08 http://francois.gannaz.free.fr/Littre). Dans le cas d'un système, on comparera celui-ci à un autre système plus connu du public auquel on s'adresse afin d'en améliorer la compréhension. Il faudra toutefois bien conserver à l'esprit le risque de l'approche réductionniste. Gareth Morgan dans "images de l'organisation" nous propose ainsi plusieurs perspectives de l'organisation sous forme de métaphores. La multiplicité des angles de vues a pour objectif de nous former à affronter l'incertitude d'un monde en perpétuelle mutation. L'usage de la métaphore, nous permet de comprendre un élément relié à notre expérience à partir d'un autre élément. (Morgan 2006, p.4). Morgan ajoute que la métaphore génère toujours une "intuition partielle". C'est à dire qu'elle va mettre en valeur un aspect particulier tout en en omettant d'autres. Si l'on dit qu'un homme est rusé comme un renard, la métaphore va forcer notre attention sur les points communs entre l'homme et l'animal, en mettant de côté leurs différences. On voit immédiatement le risque de réductionnisme et d'occultation d'une partie de la réalité.

"Nous avons tendance à trouver et à rendre réel ce que nous cherchons; mais cela ne signifie pas que ce que nous trouvons ne possède aucune assise réelle. C'est plutôt que la réalité à une tendance à se révéler en accord avec la perspective à partir de laquelle on la prend."(Morgan 2006 p.341)

"Le défi, on s'en rend compte, c'est d'apprendre à manier la métaphore avec art: trouver de nouvelles manières de voir, de comprendre et de donner une forme aux situations que nous désirons organiser et gérer".(Morgan, 2006 p5).

C'est en multipliant les métaphores de l'organisation que Morgan tentera de relever ce défi en nous donnant un assortiment de perspectives pour nous aider à mieux agir. Car "les manières de penser ont tendance à engendrer des manières d'agir"(Morgan 2006 p.342), "limitez votre réflexion et vous restreindrez votre rayon d'action."(ibid).

Une autre méthode de modélisation est la représentation graphique.

  • elle permet une appréhension globale et rapide du système représenté (après apprentissage),
  • elle contient une forte densité d'informations dans un espace limité (économie de moyens),
  • elle est monosémique et semi-formelle (faible variabilité d'interprétation),
  • elle possède une bonne capacité heuristique (notamment dans un travail de groupe).

(Wikipedia consultée le 08.05.08 http://fr.wikipedia.org/wiki/Approche_syst%C3%A9mique#L.27analogie)

La théorie du Système Général de Le Moigne a pour but de nous guider dans la représentation de systèmes, de nous donner les outils de modélisation. À ce titre, le modèle que nous construirons sera isomorphe du Système Général, c'est à dire que tous les éléments constitutifs du Système Général devront se retrouver dans le modèle. Par contre, ce même modèle sera homomorphe de l'objet à représenter (Le Moigne TDSG p.79), c'est à dire qu'il ne représentera que partiellement la réalité. Ceci est illustré par la figure 2.1 représentant le processus de systémographie ou de modélisation systémique.

Figure 2.1: Le processus de systémographie ou de modélisation systémique par JL Le Moigne (Le Moigne 1977-2006 p.80)

La systémographie


Pour décupler nos capacités modélisatrices, Le Moigne nous invite à passer de la question:

"De quoi c’est fait ? à la question qu’est-ce que ça fait ? — et donc d’une modélisation analytico-organique à une modélisation systémo-fonctionnelle." (Le Moigne 1977-2006 p.20)

À l'instar de notre description préalable de l'objet, le lexique MCX APC (http://www.mcxapc.org consulté le 01.01.10) nous propose une modélisation du système général et nous dit qu'un système permet de représenter un phénomène perçu complexe en posant les 4 questions inséparables :

- il fait quoi ?
- dans quoi ?
- pour quoi ?
- devenant quoi ?

Autrement dit en interrogeant les interrelations qui le constituent :

Figure 2.2: Interrelations du système par MCX APC

Modélisation du système général selon site MCXAPC


La modélisation systémique fonde son originalité sur sa capacité à respecter cette dialectique constitutive de toute complexité : devenir en fonctionnant et fonctionner en devenant, en maintenant son identité.(Le Moigne 1977-2006 p.17)

Si la systémique apporte une réponse au réductionnisme cartésien en redonnant sa place au tout, elle est comme le souligne Morin tombée dans la réduction inverse, le holisme soit une réduction au tout (Morin, Méthode 1 p.124). L'holisme "est aveugle aux parties en tant que parties, ignorant les contraintes, inhibitions et transformations qu'elles subissent. Il est aveugle aux antagonismes que produit l'organisation du tout"(Fortin 2005, p.27). Cela ne signifie en aucun cas qu'il faille renier la systémique, mais plutôt en intégrer les savoirs dans une nouvelle méthode. "Le systémisme, s'il doit être dépassé, doit en tout état de cause être intégré." (Morin, IC p.34).
"La seule prise en considération des "interactions entre les éléments" ne suffit plus: il faut développer de nouveaux instruments de pensée, permettant de saisir des phénomènes de rétroaction, des logiques récursives, des situations d'autonomie relative."(Interlettre n.25 p.5). Le Moigne tient déjà en partie compte des travaux de Morin dans sa théorie du Système Général mais ce dernier à travers notamment les 6 tomes de "La méthode", pousse plus loin la réflexion. Pour dépasser le holisme, il s'appuie sur la phrase de Pascal: "Je tiens pour impossible de connaître les parties sans connaître le tout, non plus que de connaître le tout sans connaître particulièrement les parties." (Morin Méthode I p. 125). Fortin souligne que dans la pensée complexe telle que décrite par Morin, c'est l'articulation, le lien entre le tout et les parties qui est central, lequel est toujours occulté par les approches cartésienne et systémique. (Fortin, 2005 p.28).

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