Table des matières
Avant de pouvoir utiliser la complexité comme tremplin pour modéliser le wiki, il nous fallait en saisir l'essence. Ainsi, cette section après une brève introduction, définit ce qu'est un système complexe, nous donne les pourquoi de la complexité, pour terminé en nous présentant trois grands principes de complexité que sont la dialogique, la récursion et l'hologramme.
Introduction
Le thème de la complexité émerge dans les années 50 en même temps que les connections avec la théorie des systèmes, la cybernétique, la théorie de l'information et que va émerger l'idée d'auto-organisation.(Petit déjeuner avec Edgar Morin à Paris 9 mars 2007 - http://video.google.com/videosearch?q=edgar+morin&sitesearch=). Morin chemine depuis longtemps vers la pensée complexe, chemin qu'il trace en marchant, il prend à ce titre pour leitmotiv le poème de Machado 1917 "Cheminant, il n'y a pas de chemin; le chemin se fait en marchant". Fortin comme le dit Morin a marché sur le chemin accompli et l'a balisé (Fortin, 2005 préface d'EM). Ce balisage nous aide nous lecteurs découvrant la complexité à nous aventurer au travers de l'oeuvre de Morin en particulier "La Méthode". Méthode qui nous le rappelle Morin ne s'applique pas comme une méthodologie, mais plutôt qui "excite l'esprit à élaborer des stratégies de connaissance qui pourraient s'appliquer dans tous les domaines à condition que ceux-ci ne soient pas fragmentés et clos." (Forin,2005, préface XVII et XVIII). C'est une méthode qui veut combiner les savoirs et non les isoler dans un hyper-spécialisation qui aujourd'hui disjoint les connaissances disciplinaires et "nous empêche d'avoir une vision globale de la réalité"(Fortin, 2005 XXI). Parmi ces disciplines, la gestion de projet, qui par la diversité de ses acteurs se doit de combiner les savoirs, trouvera dans la pensée complexe des réponses à ses doutes, à ses cercles vicieux dans lesquels elle tend à s'embourber dès lors qu'elle essaye de prendre en compte la complexité des projets. C'est dans cet objectif que nous allons maintenant plonger dans l'univers de la complexité guidé par Morin et Morgan.
Qu'est-ce qu'un système complexe?
Le mot complexité est de plus en plus souvent employé dans notre langage quotidien. On parle de projets complexes, de situations complexes, de personnalités complexes, de systèmes complexes pour n'en citer qu'un petit nombre. Mais que signifie exactement le mot complexité?
Avant d'introduire la notion de complexité, il est important de définir ce qu'est la simplicité.
Nous comprenons ici que trop souvent nous concentrons notre attention sur un aspect particulier d'une situation et négligeons le tout en en disjoignant certains aspects. Le gestionnaire de projet, trop préoccupé à finir dans les délais peut être amené à négliger d'autres problématiques qui pourront dans certains cas avoir des conséquences bien plus dramatiques qu'un retard. Ou bien, nous regardons le tout de façon simplifiante, réductionniste sans tenir compte des parties. La structure de découpage du projet (SDP) prise isolément est réductionniste dans le sens où elle ne tient compte que des livrables et omet tout autre élément, par exemple les facteurs exogènes. Elle est cartésienne, elle découpe le projet en livrables pour en faciliter l'exécution et la gestion. "La SDP organise et définit tout le contenu du projet. Elle subdivise le travail du projet en parties plus petites et plus faciles à maîtriser de sorte qu'en descendant d'un niveau dans la SDP, la définition du travail du projet devient plus détaillée." (PMBOK p.112)
Pour Morin, "la complexité est un mot problème et non un mot solution"(Morin 2005 p. 10), il reflète nos difficultés à définir de façon claire, à ordonner nos idées. Nous sommes en général confus, mal à l'aise devant la complexité. Notre réaction est alors de simplifier, en d'autres termes, de réduire le complexe à quelque chose de "simple". Ceci ne peut toutefois se faire sans perte, les composants retirés, ne disparaissent pas, on les rend invisibles, par contournement ou omission volontaire. Et ce sont ces attitudes réductionnistes qui sont régulièrement à l'origine de situations de crises, de troubles, d'échecs, de conflits. "La simplification du compliqué appliqué au complexe a pour conséquence une aggravation de la complexité par mutilation et non pas la résolution du problème considéré."(Le Moigne, 1999 MDSC p.5) Pour Morin, Gaston Bachelard ne voyait d'ailleurs dans la nature rien de simple, mais que du simplifié (Morin 1991 Cerisy p.283).
Le mot complexité vient du latin complexus qui signifie tissé ensemble et de complecti "ce qui contient des éléments différents". (Fortin, 2005 p.16)
Pour mieux cerner ce qu'est un système complexe nous nous appuierons sur la définition donnée par le lexique du site MCX APC (Association pour la Pensée Complexe) :
Nous soulignons la différence nette faite entre la complexité et la complication, différence que nous ferons nôtre tout au long de nos travaux. Ainsi, la complication est un phénomène que l'on peut prévoir, même si cela peut être fastidieux, avec de la persévérance, on est capable d'en venir à bout. Prenons l'exemple d'une montre que l'on démonterait, n'étant pas expert dans le domaine, nous aurions bien du mal à remonter son mécanisme, toutefois avec de la patience et un apprentissage approprié, nous pourrions en venir à bout. "La complication désigne un empilement et une imbrication de dispositifs ou de paramètres de tous ordres, dont on peut néanmoins venir à bout avec du temps et de l'expertise." (Genelot 2001). C'est de l'inconnu "connu", prévisible. Un système compliqué se caractérise par de nombreux processeurs connectés uniquement par relations arborescentes (p.xx).(Le Moigne TGS p.119)
Dans le cas de la complexité, on est en face de systèmes dynamiques caractérisés par de nombreuses interactions et rétroactions, c'est de l'inconnu "inconnu", non prévisible. Comment prévoir le comportement humain sans risquer de se tromper, sans parler des conséquences liées aux interrelations entre humains. Le Moigne souligne que dans les systèmes complexes les processeurs ne sont pas forcément nombreux mais qu'ils sont connectés par des relations rétromettantes. (Le Moigne TGS p.119)
Pour illustrer cette différence entre complexe et compliqué, Snowden nous invite à imaginer ce qui se passe lorsque dans une organisation des rumeurs de réorganisation apparaissent. Le système humain complexe commence à muter de façon complètement incertaine et des tendances se dessinent en prévision du changement. À l'opposé, lorsque l'on s'approche d'un avion une boîte à outil à la main pour en modifier le système électrique, rien ne se produit, il s'agit de complication. (Snowden 2002)
Incertitude et complexité sont liées, lorsqu'une situation est complexe, elle comporte des éléments imprévisibles, des zones de doutes. On ne pourra par exemple pas dans un projet anticiper l'ensemble des réactions des parties prenantes. Malgré une analyse précise et nécessaire, il faudra composer avec les impondérables.
On voit apparaitre aujourd'hui une prise de conscience de l'incertain notamment dans le domaine des sciences. De plus en plus de scientifiques se rendent à l'évidence que le chaos, le hasard, le multiple ne sont pas l'exception mais font partie intégrante de notre monde. Dominique Genelot raconte avec pertinence l'histoire de la découverte de l'atome, du grec atomus ; terme composé d'alpha privatif et du verbe grec "tome" signifiant couper. En le baptisant ainsi les scientifiques pensaient avoir atteint la particule la plus petite possible, que l'on ne pouvait plus "couper". Si cela a été le cas pendant plus d'un siècle et reconnu comme tel par la communauté scientifique, on a découvert plus tard les nucléons de deux types, neutrons et protons puis les positrons, le neutrino, des particules instables comme le méson-pi, le muon et autres. On a ensuite révélé que les neutrons et les protons étaient eux mêmes composés de quarks et qu'à côté des électrons se trouvaient des leptons dont 6 ont été découverts à ce jour. De nouveaux noms ont même été inventés en prévision de futures découvertes. (Genelot 2001)
La définition de la complexité de MCX APC, souligne la diversité des constituants, leur indissociabilité et l'imprévisibilité du système. Dans la même veine, Cohen et Axelrod définissent un "système adaptatif complexe" comme "un monde où beaucoup d'agents s'adaptent tous les uns aux autres et où l'avenir est extrêmement difficile à prédire." (Axelrod et Cohen, 2001 p.11). Si la complexité relève de l'incertain, du hasard, de l'imprévisible, on ne peut donc pas vaincre la complexité, on doit composer avec elle, ce qui la différencie de la complication. C'est ainsi que nous justifions l'emploi du terme "composer" de notre question de recherche. "Admettre la complexité c'est d'abord admettre que certains aspects de la réalité échappent à notre entendement" (Genelot 2001 p.72).
Le Moigne pour nous aider à comprendre nous dit "un système compliqué on peut le simplifier pour découvrir son intelligibilité (explication). Un système complexe on doit le modéliser pour construire son intelligibilité (compréhension). Mais en simplifiant (= mutilant) un système complexe on détruit à priori son intelligibilité." (Le Moigne, MDSC) 1999 p.11
Rappelons ici que nos propos antérieurs sur l'aspect artificiel des systèmes comme construction de l'esprit s'appliquent à la complexité. Le Moigne nous le dit: "La seule chose dont je sois sûr et dont chacun de nous puisse être sûr, c'est que la complexité est dans notre tête et que c'est nous qui la projetons sur le monde."(Le Moigne Cerisy p.359)
Ajoutons, qu'un système complexe est un système qui s'adapte, capable d'auto-organisation. La complexité apparait et se développe avec l'émergence d'une capacité d'autonomie au sein d'un système : ses comportements sont élaborés par le système lui-même, de façon endogène; ouvert sur ses environnements qui le sollicitent et le contraignent, et en transaction avec eux il n'en est pas pour autant complètement dépendant : ayant ses projets propres, il est capable d'intelligence (Le Moigne 1999 p.81)
Pour conclure, nous retenons qu'un système est complexe, lorsqu'il comprend plusieurs éléments distincts, interreliés, interdépendants (récursion) et qu'il est capable de s'adapter (auto-organisation).
Pourquoi la complexité?
Les modèles traditionnels vont être remis en cause dans les décennies à venir nous verrons le passage d'une économie énergétique de production de masse à une économie de la demande fondée sur l'information (De Rosnay 2007 p.106). Ces nouveaux modèles demanderont pour être compris, de nouveaux outils cognitifs.
L'analyse cartésienne, découpe le réel en éléments simples, pour en souligner les facteurs déterminants mais, ne parvient pas à comprendre un processus comme l'auto-organisation, elle n'a pas de vue d'ensemble sur le système et perd la qualité des propriétés émergentes. La méthode systémique elle répond à ce besoin en se concentrant sur les interrelations entre les différentes parties du système avec un réductionnisme inverse comme nous l'avons déjà vu par une vision uniquement holistique. De plus, on ne pourrait envisager une recomposition des parties par la synthèse car nous n'aurions pas de preuves expérimentales pour conforter ses hypothèses. "C'est la combinaison de l'analyse et de la synthèse qui peut contribuer à éclairer la complexité" (De Rosnay 2000 p.32)
La complexité est un défi pour les gestionnaires de projet. Les échecs répétés de projets pourtant bien planifiés, sous contrôles, parfaitement en accord avec les standards définis par les BOK en sont la preuve. Pourquoi échoue t-on puisque tout est semble t-il fait dans les règles de l'art? Les méthodes habituelles de gestion de projet sont adaptées à des situations prévisibles, où l'incertain est pris en compte uniquement au niveau de la gestion des risques ou des changements. Sur la base des enseignements de Descartes, nous avons divisé les difficultés en autant de parcelles nécessaires à leur compréhension. Ceci est bien illustré par la structure de découpage du projet, qui si elle est importante, ne doit pas du fait de ces divisions simplifier les problèmes de façon réductionniste en ne tenant plus compte du tout si crucial pour composer avec la complexité du réel.
Si Dominique Genelot souligne que l'entreprise dans une certaine mesure "concentre" la complexité en se situant au carrefour entre l'économie, le technique et le social (Genelot 2001 p. 32), c'est encore plus vrai en gestion de projet où ces mêmes conditions sont réunies mais auxquelles s'ajoute l'unicité du projet source d'incertitude accrue. On doit de plus dépasser les clivages disciplinaires, faire tomber les cloisons, permettre à l'organisation projet de communiquer librement et efficacement avec les groupes fonctionnels et vice et versa. "Autant le cloisonnement des disciplines désintègre le tissu naturel de complexité, autant une vision transdisciplinaire est capable de la restituer."(Morin Cerisy p.45)
C'est ici que la pensée complexe nous offrira au travers d'une certaine vision du monde, autrement dit d'un nouveau paradigme, de nouveaux instruments pour relever le défi de la complexité en gestion de projet.
Trois principes reliés à la complexité
La dialogique
Le principe de dialogique consiste à maintenir la dualité au sein de l'unité entre deux logiques à la fois complémentaires et antagonistes. Il est l'un des piliers du paradigme de complexité qui ne cherche pas à réduire le complexe au simple mais à intégrer le simple dans le complexe (Morin 1991, Cerisy p.291).
À ce titre, Morin cite souvent Blaise Pascal qui disait: "Le contraire d'une vérité n'est pas l'erreur, mais une vérité contraire" repris ainsi par le physicien Niels Bohr: "Le contraire d'une vérité triviale est une erreur stupide, mais le contraire d'une vérité profonde est toujours une autre vérité profonde."
En gestion de projet Dominique Genelot distingue deux niveaux de pilotage des projets. Le premier, le pilotage opérationnel qu'il nomme aussi pilotage de réalisation qui relève du "comment faire?". Le second, le pilotage stratégique ou pilotage de l'évolution qui relève du "pourquoi", autrement dit la quête de sens remettant en cause la nécessité du projet. Or il conclut en indiquant que l'un ne va pas sans l'autre. "En réalité les deux niveaux de logique ont besoin l'un de l'autre: un projet d'évolution pour donner du sens, des projets de réalisation pour exister. La clef du pilotage efficace de l'organisation par projets est de savoir établir cette distinction et cette articulation entre le pourquoi (les finalités, la stratégie) et le comment (les moyens, l'exploitation). Nous sommes ici en présence de deux logiques complémentaires, parfois antagonistes mais dont aucune des deux ne doit être négligée au profit de l'autre.
Morin illustre la dialogique par l'ordre et le désordre qui sont par définition contradictoires, antinomiques. Nous percevons souvent l'ordre de façon positive, constructive, créatrice de valeur alors qu'au contraire le désordre est perçu négativement comme destructeur de valeur.
Morin, nous convie à revoir notre jugement et à travers La Méthode retrace la genèse de cette remise en question pour arriver à la conclusion qu'ordre et désordre sont non seulement inséparables mais qu'ils se nourrissent l'un l'autre dans une boucle de rétroaction. L'ordre appelle le désordre, le désordre appelle l'ordre. Le désordre initialement perçu comme destructeur, devient producteur d'ordre et d'organisation. À ce titre en parlant du cosmos et sur la base des découvertes les plus récentes il dit: "On ne peut échapper à l'idée incroyable: c'est en se désintégrant que le cosmos s'organise", seule théorie plausible de la formation de l'univers. (Morin, Méthode 1 p.45)
Morin fait référence à Heinz von Foerster 1959 qui en opposant ordre de l'ordre "order from order" et ordre du désordre "order from disorder" à l'ordre du bruit "order from noise" montre que des phénomènes ordonnés peuvent naître de l'agitation ou d'une turbulence désordonnée. (Morin 1991 Cerisy p.284) C'est ainsi qu'il en arrive à ajouter l'organisation à l'ordre et au désordre dans une relation tétralogique.
Figure 2.3: Boucle tétralogique (Morin, La Méthode 1 p.56)
Chez Morin, l'idée d'organisation est fondamentale et se distingue de la notion de système. Elle donne à l'ordre stabilité face au désordre et souplesse pour évoluer et se complexifier. (Fortin, 2005 p.23 et 38). L'ordre rigidifie le système alors que l'organisation possède en elle la capacité de changement.
Ordre et désordre avant considérés comme antinomiques, sont aujourd'hui inséparables et se développent mutuellement avec l'organisation et les interactions. "Il faut les concevoir ensemble, c'est-à-dire comme termes à la fois complémentaires, concurrents et antagonistes."(Morin, La Méthode 1 p.56).
La récursion
La complexité est caractérisée notamment par les interactions entre éléments. Ces interactions toutefois, ne suffisent plus, nous avons besoin de nouveaux instruments de pensée, pour comprendre "des phénomènes de rétroaction", "des logiques récursives", "des situations d'autonomie relative".(Le Moigne Cerisy p.22)
Pour mieux comprendre la récursion, nous reprendrons les trois angles sous lesquels Morin nous présente la causalité. (Morin 2005 p.115 IC):
La causalité linaire
La causalité linaire (ou déterministe) où les causes sont antérieures aux effets qu'elles produisent de façon systématique. Tout objet lancé en l'air retombe sous l'effet de l'attraction terrestre, l'eau gèle en dessous de zéro degré, l'absence de financement d'un projet conduira à son annulation.
"La causalité linéaire est conçue comme extérieure aux objets: c'est une causalité supérieure où les mêmes causes, dans les mêmes conditions, entraînent toujours les mêmes effets. Cause et effet existent dans un rapport de subordination: l'effet, tout-dépendant, obéit mécaniquement à la cause, toute-puissante."(Fortin, 2000 p.57)
La causalité linéaire est propre à la pensée classique, qui n'admet pas d'autre type de causalité.
La causalité circulaire rétroactive issue de la cybernétique
"La causalité extérieure intervient dès qu'il y a interactions entre système et environnement.... Les organisations non actives s'opposent à la causalité extérieure de façon passive. Le schéma de causalité linéaire, pour cette raison, peut être appliqué sans difficulté. À l'opposé, les organisations actives réagissent à la causalité extérieure de façon dynamique, par action en retour ou rétroaction. Cette action en retour, ou action opposée, est appelée par Morin "causalité rétroactive"" (Fortin, 2000 p.57-58)
"Il n'y a pas annulation de la cause extérieure, mais production, en relation complexe (complémentaire, antagoniste, concurrente) avec la causalité extérieure, d'une causalité intérieure ou endo-causalité." (Morin, Méthode I, p.258)
L'exemple le plus cité pour l'illustrer est le thermostat qui régulera automatiquement la température si celle-ci ne correspond pas ou plus à la programmation initiale de ce dernier. En gestion de projet, le gestionnaire dispose de ressources pour réaliser les différents livrables, l'effet, retard ou avance par exemple peut rétroagir pour augmenter ou limiter les ressources allouées au projet.
On peut ajouter ici que la rétroaction peut être négative, dans le cas du thermostat un signal est envoyé à l'entrée du système pour allumer ou éteindre le chauffage.
La rétroaction peut aussi être positive on parle d'autocatalyse, lorsque les effets agissent sur les causes dans une même direction. On choisira par exemple d'allouer d'avantage de ressources à un projet en retard, cet ajout pouvant se traduire par de nouveaux problèmes qui entraineront encore d'avantage de retard.
La causalité récursive
Ici, les effets produits sont nécessaires au processus qui les génèrent (Morin). L'œuf produit la poule qui produit l'œuf. Les projets produisent l'organisation orientée projets qui produit des projets. Cette notion de récursivité est équivalente à la réciprocité chez Thompson (1967).
Fortin lorsqu'il reprend Morin dit ceci: "L'idée de récursion, comme il l'a bien indiqué, est l'idée logique qui signifie production-de-soi et régénération. L'idée de récursion est l'idée logique qui signifie autonomie" (Fortin, 2000 p.70)
"Se produire soi-même, se générer et se régénérer par soi, c'est cela qu'il faut appeler autonomie. Cette autonomie produit l'être et l'existence en même temps qu'elle produit l'organisation qui les produit."(Fortin, 2000 p.70)
En avançant dans la méthode, Edgar Morin s'est heurté à différents obstacles dont le mur de la logique ou mur circulaire (Fortin, 2000 p.11)
C'est pour répondre aux questions:
"Comment articuler des termes autrement qu'en les réduisant l'un à l'autre?" (Fortin, 2000 p.12)
"Comment éviter la disjonction tout en échappant au cercle vicieux où les termes se renvoient l'un à l'autre de façon stérile?" (Fortin, 2000 p.12)
Que Morin introduit la notion de récursivité (Fortin, 2000 p.12)
On peut reprendre ce principe dans de nombreux domaines, on peut en adaptant l'exemple de la société de Morin dire, que l'organisation projet est produite par les interactions entre les acteurs projet mais que l'organisation projet une fois produite, rétroagit sur les acteurs projet et les produits. Les acteurs projet sont ici à la fois produit et producteur. Nous sommes ici en rupture totale avec la causalité linéaire évoquée plutôt.
Dans la réalité les interactions ne sont pas très claires, c'est pourquoi on utilise souvent la métaphore du tourbillon formé d'une interaction de spirales. (Genelot 2001 p.78) (Morin 2005 p.99)
Ces trois causalités sont présentes à chaque niveau d'organisation, complexe, temporaire ou non.
"À cette causalité simple, simplifiante et simplifiée, il faut substituer la causalité complexe. La causalité complexe n'est pas linéaire, mais relationnelle. Cela veut dire que l'effet n'est plus subordonné à la cause; il n'est plus esclave. L'effet peut désobéir à la cause en se voyant neutralisé, annulé, contrarié. Il peut rétroagir sur la cause, devenant lui-même causal de sa cause tout en restant effet. Cause et effet sont donc relatifs l'un à l'autre, interdépendants." (Fortin, 2000 p.64)
L'hologramme
La théorie
"La théorie des systèmes a réagi au réductionnisme, dans et par le "holisme" ou idée du "tout". Mais croyant dépasser le réductionnisme, le "holisme" a en fait opéré une réduction au tout: d'où, non seulement sa cécité sur les parties en tant que parties, mais sa myopie sur l'organisation en tant qu'organisation, son ignorance de la complexité au sein de l'unité globale. Le tout, dès lors, devient une notion euphorique (puisqu'on ignore les contraintes internes, les pertes de qualités au niveau des parties) fonctionnelle huilée (puisqu'on ignore les virtualités antagonistes internes), une notion niaise" ( Morin Méthode 1 p.124)
Morin aborde la nécessaire prise en compte du tout et des parties au travers de la métaphore de l'hologramme. Chacune des parties contient le tout et le tout contient les parties. Idéalement lorsque l'on sépare l'une des parties d'un hologramme, il est possible de reconstituer le tout à partir de la partie. Dans notre organisme chaque cellule vivante contient la totalité de l'information génétique et constitue ce même organisme.
Ainsi, l'instrument de l'hologramme va au-delà de la pratique du réductionnisme qui ne prend en compte que la partie et au-delà du holisme qui ne s'intéresse qu'au tout. Le tout ne peut pas être réduit à la somme de ses parties dans un système complexe car cela reviendrait à occulter les interactions multiples et variées qui le parcourent.
Lorsqu'on découpe un projet en parties, les livrables ceux-ci doivent permettre de produire le tout "projet", mais bien souvent les responsables de ces livrables n'ont pas une connaissance du tout et une fois réalisés, il arrive que les livrables ne puissent pas s'intégrer proprement au tout. De la même façon, des problèmes surgissent si le chef de projet n'a qu'une vue holistique sur le projet et ne prend pas en compte les particularités liées à chacun des livrables ou à chacun des acteurs.
Plusieurs chercheurs, ont émis l'hypothèse que le cerveau fonctionnerait de façon holographique. L'holographie tend vers une forme décentralisée, distribuée de l'intelligence (Morgan, 2006 p.71). Les informations sont enregistrées de façon simultanée à plusieurs endroits du cerveau et le processus donne alors naissance à l'ordre et à la configuration sans être imposé.
"Plus on connaît les parties, qualités et comportements individuels, mieux on connaît le tout; plus on connaît le tout, émergences et contraintes globales, mieux on connaît les parties" (Fortin, 2000 p.34)
Pour mieux comprendre les relations entre les parties et le tout nous allons les illustrer sous différents angles (Fortin, 2005, p.28 à 32):
Le tout est plus que la somme des parties
Dans une organisation projet, on trouve des propriétés émergentes, c'est à dire qui ne sont pas présentes dans les parties séparées mais apparaissent lorsque les parties sont combinées, ce sont la culture projet, les standards, les meilleures pratiques. On parle plus couramment de synergie.
Pour clarifier ce que nous entendons par "propriété émergentes" ou "émergences", nous reprenons la définition suivante:
Le tout est moins que la somme des parties
Certaines propriétés des parties prises séparément sont inactives au sein de l'organisation projet. Les règles, standards et autres sont contrôlant voir répressifs pour les acteurs projet. Des capacités individuelles sont muselées par les contraintes organisationnelles du tout.
Le tout est moins que le tout
L'acteur projet est inconscient de la totalité de l'organisation projet alors que celle-ci ignore aussi nos états d'âme, nos peurs, nos désirs."Il y a ignorance mutuelle entre l'individu et la société"(Fortin, 2000. p.37). "Cette ignorance réciproque crée un hiatus, un vide que le tout est toujours incapable de combler."(Fortin, 2000. p.37)
Les parties sont plus que les parties
"Le tout confère aux parties des qualités nouvelles qui sont absentes ou seulement virtuelles lorsqu'on les considère isolément." (Fortin, 2000. p.37). Au niveau de l'organisation projet, c'est l'émergence de l'esprit d'équipe, de la capacité à relever de plus grands défis, de trouver de nouvelles réponses.
Les parties sont moins que les parties
Un acteur projet, ne pourra pas donner la pleine mesure de "toutes" ses capacités. Si votre côté artistique est développé et que le projet sur lequel vous travaillez n'a rien d'artistique, vous ne pourrez pas exploiter ce talent qui sera inhibé.
"Il en est ainsi parce que les contraintes du tout sur les parties, comme nous l'avons vu, font que celles-ci perdent ou se voient inhiber des propriétés qu'elles possédaient à l'état isolé. C'est là un appauvrissement pour le tout comme pour les parties. Mais souvent, le tout ne peut se maintenir qu'à ce prix." (Fortin, 2000 p.38)
Le tout est conflictuel
"Il est conflictuel dans le sens où il implique toujours l'idée d'antagonisme. Les antagonismes peuvent être neutralisés par le système ou utilisés efficacement pour le maintien et le développement de l'organisation" (Fortin, 2000. p.38)
Le tout est incertain
"Le tout et la partie, en effet, sont des termes relatifs. Tout système se présente à la fois comme tout et partie. ... C'est l'angle de vue que l'on adopte qui discrimine entre ces termes et l'observateur lui-même qui hiérarchise. On n'échappe jamais à l'incertitude de départ. Incertitude qui s'accroît au fur et à mesure qu'on monte dans la hiérarchie."(Fortin, 2000. p.39)
Qu'est ce que le tout? Qu'est ce que la partie? s'agit-il de l'organisation projet, du projet, de l'acteur projet? Une incertitude persistera toujours qu'il faut montrer et non tenter de supprimer.
Le tout est insuffisant
"Le tout est insuffisant parce que toute totalité et constituée de parties dont elle dépend pour son existence et son fonctionnement; parce que toute totalité comporte sa béance, ses zones d'ombre, son ignorance, son inconscience par rapport aux parties qu'elle intègre. Insuffisant parce que toute totalité et menacée sans cesse par des antagonismes internes (provenant des parties ou du tout) et externe; parce que toute totalité, enfin, est toujours incertaine, c'est à dire toujours complète et incomplète, achevé et inachevée, toujours totalité intégrative et partie intégrée d'une totalité plus vaste." (Fortin, 2000. p.40)
La théorie opérationnalisée
"Pour opérationnaliser cet idéal holographique d'intelligence distribuée, décentralisée, nous utiliserons à l'intérieur du principe de l'hologramme de Morin, une synthèse de la littérature sur les organisations apprenantes faite par Morgan et regroupées sous la forme de cinq principes selon le modèle ci-dessous:"
Figure 2.4: Modélisation de l'organisation apprenante (Morgan 2006 p.94)
"Principe n.1: construire le "tout" dans les "parties""
Morgan propose pour y parvenir de se concentrer sur la culture de l'entreprise, sur les systèmes d'information, sur la structure ou sur les rôles.
Concrètement, il s'agit:
- de promouvoir une culture d'entreprise qui à l'image de l'ADN dépose dans chaque individu les fondamentaux permettant la construction de l'organisation, son unification, tout en lui assurant "une forme durable" mais "modifiable" en cas de changements. Autrement dit, de déposer le tout organisation dans les parties individus.
- de mettre en place un système d'informations accessibles de "points de vue multiples" offrant la possibilité aux individus de devenir des acteurs "d'un système évolutif de transmission de souvenirs et de renseignements sur l'entreprise".
- de "concevoir des systèmes d'information appropriés qui peuvent croître tout en restant petits", c'est à dire permettre une croissance sous forme de grappe, la "reproduction holographique". Chaque projet est hautement diversifié localement tout en étant intégré car "son modèle de base se reproduit à l'infini" voir figure 2.5. Ce qui ne signifie pas forcément clonage, le principe du "tout dans les parties" "doit être interprété et mis en oeuvre d'une manière créative" voir figure 2.6.
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- de concevoir les tâches de travail de façon holistique. Chaque équipe de travail est responsable d'une opération complète et chaque employé possède des compétences multiples doublées d'une capacité d'adaptation.
"Principe n.2: l'importance de la redondance"
Un système s'auto-organisant doit pouvoir puiser dans "un surplus de capacité" lui offrant toute latitude pour permettre à l'innovation et au progrès d'émerger. Ceci se concrétise à l'instar du cerveau au travers d'un "vaste réseau de connectivité" ouvrant des possibilités de "traitement en parallèle et de partage des informations", mais aussi au travers de la "redondance des parties" pour palier à d'éventuelles défaillances et de la "redondance des fonctions", chaque acteur possédant des compétences multiples.
"Principe n.3: la variété requise"
Pour définir la quantité de redondance nécessaire pour que le système de pilotage puisse contrôler le système opérant, on applique le principe d'Asbhy qui nous dit que tous deux doivent posséder une variété équivalente d'éléments.
"Principe n.4: les spécifications minimales"
Pour s'auto-organiser un système a besoin d'un "espace ou d'une autonomie qui permette la manifestation d'une innovation pertinente" autrement dit, "de ne définir rien de plus que ce qui est absolument nécessaire pour mettre en branle une activité ou une initiative particulière".
"Principe n.5: apprendre à apprendre"
La cybernétique a rapidement compris les limites de la rétroaction et a fait la distinction entre apprendre et apprendre à apprendre. En gestion de projet cela reviendrait à dire que l'organisation mise en place pour gérer un projet aurait la capacité de remettre en cause ses propres normes de fonctionnement. On repense ici au modèle créatif-apprenant (Jaafari 2003).
Gareth Morgan s'appuie sur les recherches autour des "organisations apprenantes" initiées par Argyris et Schön (Argyris et Schön, 1978) puis popularisées par (Senge, 1990) pour représenter cette différence entre apprendre et apprendre par les concepts de boucle simple et de boucle double.
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Figure 2.6 L'apprentissage en boucle simple (Morgan, 2006 p.83) | Figure 2.7 L'apprentissage en boucle double (Morgan, 2006 p.83) |
1 = opérations de perceptions, d’exploration et de surveillance de l’environnement
2 = comparaisons de l’information ainsi obtenue et des normes de fonctionnement
2a = opération de remise en question du bien-fondé des normes de fonctionnement
3 = opération de prise de mesures adéquates
Les principes essentiels des organisations bureaucratisées empêchent tout le processus d'apprentissage en boucle double (Morgan 2006 p.84). Il en va de même pour les mécanismes d'imputabilité bureaucratiques (le modèle de type 2 de Jaafari) et pour les méthodes d'évaluation du personnel. La question peut se poser en gestion de projet, l'utilisation faite des principes énoncés par les BOK permet-elle un apprentissage en boucle double?
Morgan souligne que l'apprentissage continu, l'apprentissage en boucle double et les problématiques que cela soulève, sont au coeur des réflexions de la recherche en gestion et qu'ils sont nécessaires pour "répondre au défi d'un monde instable"(Morgan, 2006 p.82). Pour y parvenir il faudra mettre en place "une culture d'entreprise favorisant "l'apprentissage de l'apprentissage"'' (ibid p.?).
Pour ce faire et sur la base de la cybernétique Morgan (ibid p.85) nous décrit les aptitudes qu'une organisation qui se veut apprenante devra acquérir pour pouvoir:
- analyser et anticiper le changement dans le milieu au sens large, afin de détecter des variations révélatrices
- acquérir la capacité de mettre en doute, de provoquer et de modifier des normes de fonctionnement et des postulats
- permettre que naissent la direction stratégique et le modèle d'organisation qui s'imposent
- élaborer des concepts qui leur permettraient de devenir expertes dans l'art de l'apprentissage en boucle double
"Le tout détermine les parties autant que celles-ci le déterminent. Il faut toujours concevoir ces termes dans un circuit rétroactif et récursif"(Fortin, 2000 p.36-37).