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La gestion de projet ne devient un modèle de gestion que dans les années 1950 et 1960 (Garel 2003). Il n'existe pas de théorie propre à la gestion de projet (Smyth et Morris 2007)(Shenhar et Dvir 1996). Cette discipline en devenir, a tout de même fait l'objet de nombreux articles de recherche et générée la rédaction de plusieurs référentiels dont les plus connus sont le PMBOK (Project Management Body of Knowledge) publié par le PMI (Project Management Institute) et Prince 2 (PRojects IN Controlled Environments) publié par OGC (the Office of Government Commerce). Ces standards ont permis d'en jeter les bases et de fédérer une communauté de gestionnaires de plus en plus importante à travers le monde. Cela étant, le taux d'échec des projets reste encore trop élevé. Après avoir collecté durant 15 ans des informations auprès de plus de 600 organisations autant privées que publiques réparties à travers le monde, Shenhar et Dvir arrivent à la conclusion que 85% des projets n'atteignent pas leurs objectifs de coûts et de délais, avec un dépassement de 70% en termes de durée et de 60% en termes de budget. (Shenhar et Dvir, 2007). L'une des raisons évoquée par Smyth et Morris serait que les standards ne réussissent pas à prendre en compte, les enjeux relatifs aux problèmes majeurs (front-end issues), les facteurs exogènes, la stratégie ou les facteurs humains. Les BOK's (Body Of Knowledge) sont "value-driven" et reflètent différentes approches épistémologiques, principalement positivistes et empiriques, avec certains aspects interprétationnistes (Smyth et Morris 2007). L'approche tayloriste "one best way" est très présente et la littérature au lieu de parler de meilleures pratiques (best practices) devrait plutôt parler de pratiques reconnues (accepted pratices)(Maylor, Vidgen et Carver présenté au PMI été 2008). Trois aspects reviennent régulièrement en gestion de projet, une forte emphase sur la planification, l'utilisation d'un modèle de contrôle conventionnel et une déconnection de l'environnement (Williams 2005). En d'autres termes, les référentiels négligent la prise en compte de la complexité des projets. Pour expliquer cela, il faut remonter à la révolution industrielle en Europe et en Amérique, qui a amené avec elle une conception des organisations de type mécaniste. Ce profil organisationnel basé sur la planification, la direction, la coordination et le contrôle est décrit par Morgan au travers de la métaphore, "l'organisation vue comme une machine" (Morgan 2006 p.11). Ce modèle, s'il a été efficace un temps et qu'il peut toujours l'être sous certaines conditions, n'est plus performant face aux défis du XXIème siècle notamment en ce qui a trait à la rapidité des changements. "Pour les gros projets contemporains, complexes et rapides, la gestion de projet traditionnelle est simplement contre-productive" (Koskela et Howell 2002).
Avec une augmentation de cette complexité et de celle de leur environnement et malgré des méthodes de gestion plus perfectionnées, de nombreux projets échouent (Williams 1999)(Maylor, Vidgen et Carver présenté au PMI été 2008). Il est donc nécessaire pour les gestionnaires d'apprendre à composer avec la complexité. Il est même souligné par Crawford et al que parmi les vrais défis de la gestion de projet la complexité est au premier rang (Crawford et al 2006). L'augmentation actuelle de celle-ci est causée par des changements de valeurs sociétales, par une implication et une influence croissante des parties prenantes, par une démocratisation des modes de gouvernances, par les structures, et par les progrès des technologies de l'information qui permettent de travailler virtuellement et globalement en accélérant la pression temporelle (Crawford et al 2006). Pour Dinsmore et Cooke-Davies, l'erreur réside dans le réductionnisme du triangle temps, coût, qualité. "The fallacy of the project management triangle (time, cost, quality) is that it's too simple." (Dinsmore et Cooke-Davis 2006 p.221). Or, les projets devraient plutôt être abordés comme des systèmes adaptatifs complexes (Harkema 2003). Les organisations doivent alors modifier leur façon de penser et s'orienter vers d'autres types de conceptions. Pour composer avec la complexité un changement de paradigme est necessaire ainsi que l'utilisation de nouveaux modèles et techniques pour analyser les projets complexes et de nouvelles méthodes pour les gérer. (Williams 1999).

À titre de prise de conscience de l'importance de se doter de nouveaux outils pour composer avec la complexité, nous citerons ces lignes publiées par le CNRS (Centre National de Recherche Scientifique) français:

La seule prise en considération des "interactions entre les éléments" ne suffit plus: il faut développer de nouveaux instruments de pensée, permettant de saisir des phénomènes de rétroaction, des logiques récursives, des situations d'autonomie relative. Il s’agit là d’un véritable défi pour la connaissance, aussi bien sur le plan empirique que sur le plan théorique. Dans le domaine des sciences mathématiques, physiques, chimiques ou biologiques, … cela passe précisément par un changement conceptuel du niveau de description pour révéler l’émergence de nouvelles propriétés. En sciences humaines et sociales, la notion de complexité devient opératoire si elle permet de sortir du mythe positiviste selon lequel « l’explication » d'un phénomène impose d'en traiter en « éliminant le contexte ». S’attacher à la complexité, c’est introduire une certaine manière de traiter le réel et définir un rapport particulier à l’objet, rapport qui vaut dans chaque domaine de la science, de la cosmologie à la biologie des molécules, de l’informatique à la sociologie. C’est reconnaître que la modélisation se construit comme un point de vue pris sur le réel, à partir duquel un travail de mise en ordre, partiel et continuellement remaniable, peut être mis en œuvre. Dans cette perspective, l'exploration de la complexité se présente comme le projet de maintenir ouverte en permanence, dans le travail d’explication scientifique lui-même, la reconnaissance de la dimension de l’imprédictibilité. … (CNRS 2002)

Après avoir pris conscience de l'importance de la complexité, le gestionnaire de projet doit trouver des moyens d'instrumentalisation. Bien que nous soyons toujours confronté à la "rationalité limitée" de Simon, qui par l'intelligence limitée de l'individu justifie l'intelligence limitée de l'organisation (Simon 1983), constat est fait que cela a beaucoup changé avec les innovations en technologie de l'information et les formes d'intelligence réseau qui repoussent ces limites (Morgan 2006 p.77). On dispose aujourd'hui de moyens pour mettre en place des "organisations décentralisées organiques" capable de composer avec un environnement complexe et dynamique selon la typologie de Mintzberg (Mintzberg, Structure et Dynamique des Organisations,1982). Joël De Rosnay avance que l'ordinateur est un prodigieux instrument d'observation de la complexité, dont les caractéristiques tiennent en trois mots, puissance, visualisation et simulation. (De Rosnay 2000 p.51 HS). De nouveaux outils plaçant l'utilisateur au premier rang, sont aujourd'hui disponibles, on pense aux médias sociaux. Parmi ceux-ci l'un d'eux se démarque en terme de collaboration, c'est le wiki, en quelques mots il s'agit d'un site Web éditable. Le wiki et la philosophie wiki font l'objet ces dernières années d'une attention croissante de la part des entreprises et des gouvernements. Plusieurs livres ont été écrits sur le sujet, citons notamment, WikiWay de W. Cunningham (inventeur du wiki) et Bo Leuf qui tracent la génèse du wiki, Wikinomics de Don Tapscott qui en souligne l'impact sur l'économie et les modèles d'affaires ou plus récemment Wiki Gouvernment de B.S. Noveck qui nous invite à penser la démocratie participative "en créant un gouvernement par les individus, pour les individus et avec les individus." (B.S. Noveck, 2009). Ceci nous conduit à notre objectif de recherche qui propose l'utilisation du wiki en gestion de projet pour composer avec la complexité.

Concrètement, nous posons la question suivante: ''Comment le wiki peut-il aider à composer avec la complexité en gestion de projet?

Pour tenter d'y répondre, nous avons tout d'abord effectué une revue de littérature qui s'articule en trois parties. La première, explore la complexité en gestion de projet pour en dresser un état des lieux. Puis le champ est élargi à la systémique, guidé par Le Moigne et à la complexité guidé par Morin et Morgan. De la systémique nous retiendrons notamment le processus de modélisation ou systémographie et de la complexité nous retiendrons les trois principes de la dialogique, de la récursion et de l'hologramme, combinés pour l'hologramme aux cinq principes de l'organisation apprenante (Morgan 2006). La seconde partie, souligne le passage du Web 1.0 au Web 2.0 marqué par le nouveau paradigme de l'utilisateur acteur. Elle présente ensuite, la genèse du wiki avant d'en décrire les attributs. Enfin, la troisième partie utilise la systémique et la complexité comme des tremplins pour modéliser le wiki comme un outil pour composer avec la complexité. La méthodologie suit un paradigme constructiviste, elle se concrétise en une étude de cas unique, effectuée sur une durée de cinq mois au sein d'une entreprise leader dans le secteur des télécommunications chez qui un wiki pilote a été déployé comme outil de collaboration d'un projet de développement logiciel. Le modèle est alors confronté aux données recueillies sur le terrain pour tenter de le légitimer. Pour ce faire, l'analyse des données est structurée en trois grandes périodes: avant l'utilisation du wiki, pendant l'utilisation du wiki et à l'issue de la recherche. Finalement, les résultats seront discutés soulignant, notre contribution à la recherche en gestion de projet, les implications pour les gestionnaires, les limites de l'étude et enfin, des pistes de réflexion seront proposées pour de futures recherches.

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